Michel Sapin reprend la responsabilité pleine et entière de la formation professionnelle

Par - Le 01 avril 2013.

La veille, quatre projets de loi (sécurisation, apprentissage, formation,
sans oublier la décentralisation) en chantier, des concertations en cours, de nombreux déplacements et des explications inlassables. Le lendemain, départ. Thierry Repentin, nommé le 21 juin 2012, laisse vacant le ministère dédié, et Michel Sapin, en charge depuis le 16 mai, reprend l'énorme dossier des réformes. À conjuguer avec celui de l'emploi.

La démission, le 19 mars dernier, du ministre du Budget Jérôme Cahuzac a entraîné un “jeu de chaises musicales" au sein du gouvernement.

Le titulaire des Affaires européennes, Bernard Cazeneuve, est devenu le nouveau ministre du Budget. Et a été remplacé par Thierry Repentin. Lequel laisse vacant le portefeuille de ministre délégué chargé de la Formation professionnelle et de l'Apprentissage.

Thierry Repentin a quitté ses fonctions le lendemain même d'un discours prononcé devant le Conseil national pour la formation professionnelle tout au long de la vie (CNFPTLV). Dans lequel le ministre avait présenté le volet formation du projet de loi relatif à la décentralisation. Il s'était notamment employé à rassurer les partenaires sociaux sur leur implication dans le cadre du futur service public régional de la formation professionnelle. Certes, le ministre ne chômait pas, sur le terrain des réformes. Pour rappel, Thierry Repentin a annoncé la présentation d'un projet de loi sur l'apprentissage entre la fin du mois de juin et le début du mois de juillet. Puis, faisant suite aux annonces du chef de l'État, il a précisé qu'un projet de loi sur la formation professionnelle serait présenté l'hiver prochain en conseil des ministres. Enfin, Thierry Repentin a appuyé la création d'un compte personnel de formation, nouveau droit inscrit dans l'Ani du 11 janvier 2013 et transposé dans le projet de loi relatif à la sécurisation de l'emploi. Lequel sera débattu par les députés à partir de ce 2 avril.

Jérôme Giudicelli à la tête du “pôle formation"

Michel Sapin, ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, reprend donc la responsabilité pleine et entière de la formation professionnelle.

Pour traiter les réformes annoncées, un “pôle formation" est créé au sein de son cabinet. Il sera coordonné par Jérôme Giudicelli, jusqu'alors directeur adjoint du cabinet de Thierry Repentin et conseiller technique “développement des compétences, formation professionnelle et apprentissage" du cabinet Sapin.

“Dans le sens du renforcement des liens formation-emploi"

Du côté de la CFDT, on “prend acte" du départ de Thierry Repentin et de son non-remplacement. Cependant, Marie- Andrée Séguin, secrétaire nationale en charge des affaires d'éducation et de formation professionnelle, interrogée par L'Inffo, s'est déclarée pour le moins “surprise". S'interrogeant sur le sens de cette démarche gouvernementale, “alors que le chef de l'État, au début du mois de mars, annonçait faire de la formation un dossier d'envergure nationale".

Si l'absence d'un ministère expressément dédié aux questions de formation ne remet pas en cause les concertations qui précéderont la prochaine conférence sociale, “évidemment, cette situation nous amène à nous poser des questions quant à l'agenda de la réforme que Michel Sapin va désormais piloter", indiquait pour sa part Catherine Bourrut, secrétaire confédérale. Reste que “le retour de la formation dans le portefeuille de Michel Sapin va dans le sens du renforcement des liens formation-emploi, que défend la CFDT", soulignait Marie-Andrée Séguin. “Je regrette de ne plus avoir comme interlocuteur Thierry Repentin, homme de dialogue et respectueux des institutions", a commenté Jean-Pierre Therry, conseiller confédéral CFTC en charge de la formation professionnelle. Lui aussi a par ailleurs approuvé le principe du “rapprochement emploi-formation au sein même du ministère de Michel Sapin, car il fait écho à l'acte III de la décentralisation, dans lequel emploi et formation font corps". À ce titre, Jean-Pierre Therry a rappelé les inquiétudes des partenaires sociaux quant à leur rôle dans le dialogue social régional, et le fait que Thierry Repentin s'était voulu rassurant à ce sujet.

Du côté des organismes privés de formation, Emmanuelle Pérès, déléguée générale de la fédération de la formation professionnelle (FFP) a regretté “la grande capacité d'écoute" de Thierry Repentin, avec lequel elle “a eu une grande satisfaction de travailler". Ceci étant, elle s'est déclarée “confiante pour la suite, car Michel Sapin suivait déjà de près tous les dossiers".

“Les apprentis, leurs entreprises et les CFA ne méritent-ils pas un ministère ?"

Tonalité différente, à l'Association nationale des apprentis de France (Anaf ). Pour Morgan Marietti, son président, le non-remplacement du ministre constitue “un véritable bras d'honneur adressé aux apprentis", comme il le confiait dès le lendemain à L'Inffo. “Cela fait six mois que nous travaillions avec son cabinet… et tout est balayé du jour au lendemain." Morgan Marietti occupe, depuis quelques semaines, le poste de vice-président du

Collectif des présidents d'associations, réunies par Yves Attou pour peser dans la future réforme de la formation, dont l'un des volets concerne la collecte et la répartition de la taxe d'apprentissage. “En supprimant le ministère de l'Apprentissage, le gouvernement nie l'incomparable atout de l'alternance pour la jeunesse, sa réussite scolaire et son implication dans le monde économique. Les apprentis, leurs entreprises et les CFA ne méritent-ils pas un ministère ?"

À l'heure actuelle, l'Anaf envisage d'entamer une série de discussions avec tous les acteurs du monde associatif concernés. Les 21 structures réunies dans le Collectif des présidents, bien sûr, mais aussi d'autres instances telles que les Compagnons du Devoir, le Club 21, ou les Maisons de l'emploi. Dans les temps à venir, Morgan Marietti espère mobiliser un maximum de structures associatives autour des questions d'apprentissage.

“Le dialogue institutionnel n'est pas suffisant"

La fédération nationale des Unions régionales des organismes de formation (Urof)et le Syndicat national des organismes de formation de l'économie sociale (Synofdes) ont relevé que le premier ministère supprimé avait, déjà, été obtenu tardivement (L'Inffo n° 812, p. 1, et n° 815, p. 1). “Il y a un paradoxe : le président de la République souligne à plusieurs reprises, ces dernières semaines, l'aspect vital de la formation professionnelle et ses intentions réformatrices, et supprimer le ministère qui en a la charge", a noté Michel Clézio, président de la fédération nationale des Urof.

“Nous avons du mal à lire la cohérence et la volonté politique." “Thierry Repentin avait une réelle qualité d'écoute et un regard extérieur sur un système aussi complexe. Il était capable d'impulser
des réformes. Il avait lancé plusieurs chantiers dont les textes seront bientôt soumis au Parlement", a rappelé Michel Clézio. Aujourd'hui, “le dialogue institutionnel n'est pas suffisant".

Son organisation et le Synofdes ont insisté sur l'urgence de “l'évolution d'un système complexe, dans lequel des citadelles maintiennent en place des usages qui doivent évoluer, dans lequel certains acteurs ont besoin de mieux identifier le sens de leur mission exige volonté et fermeté". Et d'indiquer : “Selon nous, maintenir un ministère pour piloter toutes ces évolutions aurait été la meilleure façon d'affirmer la volonté politique d'un réel changement. La formation professionnelle a besoin d'un signe fort."

LE “PÔLE FORMATION"

L'arrêté du 21 mars 2013 portant nomination au cabinet du ministre du Travail, de l'Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social, est paru au JO du 26 mars.

Trois conseillers vont se charger des questions de formation professionnelle.

Auprès de Jérôme Giudicelli (conseiller “formation professionnelle et coordinateur du pôle formation"), Catherine Beauvois, ex-conseillère technique “décentralisation, réseaux territoriaux et instances de concertation", voit son périmètre élargi à des missions autrefois confiées à Patrice Guézou (qui quitte le ministère) : “décentralisation, orientation et formation professionnelle". Daniel Vatant garde ses attributions de conseiller technique “apprentissage et alternance".

Christian Ville, ancien directeur de cabinet, retrouve l'Inspection générale des affaires sociales, son corps d'origine. Quant à Sophie Donzel, la chef de cabinet de Thierry Repentin, elle le suit dans ses nouvelles fonctions, tout comme François-Stéphane Hamon, conseiller parlementaire du nouveau ministre délégué aux Affaires européennes.

ENTRETIEN AVEC MICHEL SAPIN, MINISTRE DU TRAVAIL, DE L'EMPLOI, DE LA FORMATION PROFESSIONNELLE ET DU DIALOGUE SOCIAL
Apprentissage et formation : “ un même texte portera les réformes"

La disparition du ministère délégué à la Formation professionnelle et
à l'Apprentissage est perçue comme un “mauvais signal" par certains
acteurs. Que répondez-vous ?


Depuis ma nomination le 16 mai 2012, je suis en charge de la formation professionnelle. Thierry Repentin m'a épaulé dans cette importante mission depuis juin et jusqu'à la semaine dernière.

Il a été un talentueux ministre délégué à la Formation professionnelle et à l'Apprentissage. Son implication est reconnue par l'ensemble des acteurs. Je reprends désormais totalement le pilotage de cette politique, en m'inscrivant dans la continuité des chantiers que nous avions lancés ensemble et je m'investirai pleinement dans cette
mission. Le président de la République a annoncé à Blois le 4 mars
une réforme de la formation professionnelle : peut-il y a avoir meilleur
signal de l'importance que nous accordons à cet enjeu ?

Est-ce le signe d'une réorientation des fonds de la formation vers
la politique de l'emploi ?


Thierry Repentin et moi-même avons toujours conçu la formation
professionnelle comme un outil majeur de la bataille pour l'emploi.
C'est pourquoi, à la suite de la Grande conférence sociale des 9 et
10 juillet 2012, ont été lancés sur les territoires des plans d'action pour la formation des demandeurs d'emploi et des pactes pour la réussite éducative et professionnelle des jeunes, notamment les jeunes décrocheurs, en cohérence avec l'engagement du président de la République en faveur de la jeunesse. La nouvelle convention-cadre
2013-2015 conclue en janvier dernier avec les partenaires sociaux du
Fonds paritaire pour la sécurisation des parcours professionnels (FPSPP) oriente de même des ressources supplémentaires vers les personnes à la recherche d'un emploi, par exemple les jeunes qui entrent en emploi d'avenir.

De manière générale, que répondez-vous aux voix qui s'élèvent
pour dénoncer une politique gouvernementale qui n'envisage
la formation professionnelle qu'à travers le prisme de la lutte
contre le chômage ?


J'assume pleinement l'héritage de la loi fondatrice de juillet 1971,
largement inspirée par Jacques Delors. La formation professionnelle
poursuit trois objectifs : l'emploi, l'accès à la qualification et la
promotion sociale et culturelle. Il est certain que dans un contexte
caractérisé par plus de 3 millions de chômeurs, l'emploi devient
prioritaire car il est la condition de toutes les autres réussites.

Mais l'accès à la qualification pour ceux qui ont déjà un emploi est
tout aussi important : il sécurise le parcours professionnel dans la
durée et accompagne les promotions professionnelles et sociales.
Regardez le compte personnel de formation créé dans l'accord du
11 janvier 2013 : il permettra à chacun de concrétiser de multiples
projets d'évolution professionnelle.

Les salariés qualifiés ne sont-ils pas les oubliés de la future réforme?

Les contours de la future réforme ne sont pas encore délimités même, si le président de la République a fixé un cap : mieux orienter les ressources vers ceux qui en ont le plus besoin.

Notre objectif n'est pas d'opposer des catégories de publics entre elles, les qualifiés contre les non qualifiés, les salariés contre les demandeurs d'emploi. Nous ne voulons pas non plus dégrader l'accès à la formation des salariés qualifiés, car ils apportent énormément à l'entreprise et, eux-aussi, ont besoin d'adapter leurs compétences, de progresser ou parfois de se reconvertir. La formation professionnelle est au cœur de la compétitivité de notre économie, et c'est une composante fondée sur la qualité, dont nous avons la maîtrise.
Mais nous sommes aussi animés par l'esprit de justice et de solidarité.
La formation professionnelle doit sécuriser le parcours professionnel
des plus fragiles. Elle est une clef pour un emploi durable et de qualité.
Je pense particulièrement aux jeunes qui n'ont pas réussi à l'école, aux
demandeurs d'emploi, aux salariés démunis face aux mutations économiques et technologiques. La formation professionnelle doit constituer pour eux une véritable nouvelle chance.

Sécurisation des parcours, décentralisation, emplois d'avenir, future réforme de la formation… De nombreux textes de loi touchent, en 2013, à la formation professionnelle. Pourriez-vous préciser le calendrier et l'articulation des réformes ?

La loi portant création des emplois d'avenir a été adoptée le 26 octobre 2012. Elle comporte en effet un volet exigeant en matière de formation professionnelle pour les bénéficiaires de ces emplois, qui sont majoritairement des jeunes sans qualification. L'objectif des emplois d'avenir est de “mettre le pied à l'étrier" de jeunes jusque là laissés pour compte, mais aussi de leur permettre d'acquérir un bagage pour poursuivre leur carrière à la sortie du dispositif.

Quant à la loi de décentralisation et de réforme de l'action
publique, elle sera présentée en conseil des ministres le 10 avril prochain avant d'être examinée en première lecture au Sénat au mois de juin.

Le processus parlementaire se poursuivra jusqu'au terme de l'année 2013. Décentraliser permettra de clarifier les compétences de chaque acteur, et d'assurer leur meilleure coordination.

La réforme de la formation professionnelle sera négociée, pour sa part, au second semestre 2013. Elle portera sur les dispositifs, leurs finalités et leur financement. Je veillerai soigneusement à la cohérence entre ces différents chantiers répartis dans l'année.

Le projet de loi relatif à l'apprentissage va-t-il être déposé fin juin début juillet, comme l'a affirmé Thierry Repentin devant le CNFPTLV ?

Je crains que le calendrier parlementaire, qui est très chargé, ne
le permette pas. De plus, en raison des nombreuses proximités entre les politiques de formation professionnelle et d'alternance, il me semble plus cohérent qu'un même texte porte l'ensemble des réformes.

Où en êtes-vous des arbitrages sur ce dossier (réduction
du nombre d'Octa, mode d'affectation des fonds libres, affectation
de la taxe à l'apprentissage dans des proportions plus fortes,
et si oui dans quelle proportion, rôle des Régions, introduction de
davantage de paritarisme...) ?


Mon objectif c'est le développement de l'apprentissage, et plus largement, de l'alternance qui constituent, pour les jeunes, un formidable alliage entre qualification et emploi. Dans cette optique, je reprends à mon compte les grands objectifs de la réforme de la collecte et de la répartition de la taxe d'apprentissage initiée par Thierry Repentin : financement davantage orienté vers l'apprentissage, simplification d'un paysage de la collecte
aujourd'hui trop complexe − chaque acteur en convient −, meilleure
articulation avec les Régions qui constituent l'autre financeur majeur
des centres de formation d'apprentis. Il me semble qu'il serait opportun d'introduire du paritarisme dans la gouvernance du dispositif.
La concertation va se poursuivre dans les mois qui viennent avec
l'ensemble des acteurs.

Qu'attendez-vous des concertations sur le compte personnel de
formation, et de la rencontre quadripartite sur les modalités de
financement ?


La loi relative à la sécurisation de l'emploi va poser les fondations
du compte personnel de formation. Deux processus de discussion
complémentaires s'avèrent désormais nécessaires : d'une part, une
concertation quadripartite entre l'État, les Régions et les partenaires
sociaux. L'objectif est de construire ce que nous appelons le “premier
étage du compte", celui qui doit permettre demain à chaque jeune,
chaque salarié ou demandeur d'emploi sans qualification d'en acquérir
une. Cette concertation originale va s'engager dans les semaines qui
viennent.

Par ailleurs, il faut que les partenaires sociaux discutent entre eux
des autres modalités de mise en œuvre et de financement du compte
personnel, dans la continuité des principes issus de l'accord national
interprofessionnel et de la prochaine loi. Je pressens d'ailleurs que
l'évolution du système autour du compte personnel pourrait constituer
un axe central de la prochaine réforme de la formation professionnelle.
Mon ambition est que le compte personnel ne soit pas qu'un
succédané du droit individuel à la formation. Il devra constituer
demain un outil majeur pour accéder à la qualification et organiser
les transitions professionnelles.

Vous avez évoqué la nécessité de “revoir la tuyauterie", les circuits de financement de la formation professionnelle pour que la formation “aille à ceux qui en ont le plus besoin". Qu'entendez-vous précisément par cela ?

Cette réforme s'inscrira dans le cadre du “dialogue social à la française" que nous voulons promouvoir. Elle sera assurément l'un des sujets centraux de la deuxième conférence sociale qui se tiendra avant l'été ;

La méthode sera la même : un document d'orientation sera adressé
aux partenaires sociaux à l'issue de la grande conférence sociale, une
négociation interprofessionnelle s'engagera ensuite; un projet de loi
interviendra d'ici la fin de l'année.

Cette réforme n'est pas une affaire de plomberie ou de tuyauterie.
Il ne s'agit pas de poser des rustines mais de porter de nouvelles
ambitions, de revisiter certains dispositifs, ceux notamment dont les
acteurs s'accordent à dire qu'ils peuvent être améliorés, dans le sens
de l'efficacité mais aussi de la justice. Les financements sont importants car ils assurent l'effectivité des droits. Mais cet aspect viendra ensuite, en soutien des choix et du sens de la réforme.

Propos recueillis par

David Garcia, Aurélie Gerlach et Béatrice Delamer